Notes de M. Ibrahim Thiaw à l’occasion du Forum International de Dakar sur la Paix et la Sécurité en Afrique
-
28 Noviembre 2023
-
Statement
-
Desertification
Excellences,
Mesdames et Messieurs,
« Pour une Afrique résiliante et démocratique : approche intégrée face à l’instabilité récurrente et aux fragilités institutionnelles ». Choix de thème ne pouvait être plus judicieux.
Riche mais pauvre. Plusieurs intervenants ont déjà mis l’accent sur ce paradoxe vécu en Afrique. En Afrique, on parle de potentialités et d’opportunités.
En Afrique, on aspire à transformer l’essai, c’est-à-dire à dépasser la phase de transition et mouvoir vers la pleine valorisation des richesses naturelles.
Construire une Afrique résiliante et démocratique, suggère d’adopter une approche sécuritaire plus intégrée et adresser véritablement les causes profondes du mal africain.
Mieux gérer les convoitises diverses et variées qui gangrènent le continent. Convoitises liées à la terre, à l’eau, aux hydrocarbures, aux resources minières, forestières, halieutiques et fauniques.
Dans un contexte de changement climatique et de croissance démographique explosive, combinés à une faible gouvernance politique, économique et sociale, les ingrédients sont réunis pour une situation complexe.
Aujourd’hui, les risques sécuritaires les plus élevés dans le monde (et en Afrique) ne sont plus les conflits armés entre nations ennemies. Nous ne sommes plus dans un contexte de rivalité Est-Ouest, de décolonisation ou de guerres de libération.
Aujourd’hui, parmi les premières causes d’insécurité figure la détérioration de l’environnement. On se tue pour l’accès à un lopin de terre fertile, à un point d’eau ou à un pâturage. L’instabilité s’installe dans certains pays riches en ressources naturelles, maintenant ainsi leurs populations dans une pauvreté absolue, comme si quelqu’un avait décidé, avec un dessein plus ou moins avoué, que plus le pays africain est riche, plus ses populations doivent rester dans la pauvreté. Certains évoquent -non sans me révolter profondément- le concept de malédiction des ressources.
Cependant, si le concept d’insécurité a changé de centre de gravité, notre réponse est restée largement figée dans le temps ; par conséquent, souvent mal adaptée. On le voit chaque jour, par la fermeture des opérations de maintien de la paix (alors qu’il n’y a point de paix), le retrait de troupes étrangères venues en masse, avec la meilleure volonté du monde. On le voit par l’inadaptation des réponses offertes par nos forces de défense nationales, parfois mal formées aux situations conflictuelles asymétriques.
On le voit aussi par l’inadaptation des réponses des Etats aux nombreux défis environnementaux, dont les départements chargés de l’environment disposent de budgets faméliques et de ressources inadéquates.
Si les causes profondes de notre maladie sont liées à l’environnement, pourquoi donc la gestion des resources naturelles continue d’être ignorée dans les accords de paix ou dans les manifestes de partis et d’élus politiques ? Pourquoi les budgets, ressources et politiques relatifs à la gestion des resources naturelles continuent de figurer en filigrane ?
Comment peut-on soigner un malade dont le diagnostic continue d’être faussé ? Les meilleurs médecins de brousse n’étant pas forcément de bons mages, il est essentiel que le patient joue à la transparence.
Vous me permettrez de citer deux cas de figure pour illustrer mes propos :
Première illustration : la rareté des ressources comme source de conflit.
Dans son rapport sur le pastoralisme et la sécurité, le Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel[1] confirme que la compétition croissante pour l'accès à l'eau et aux pâturages est l'un des principaux moteurs des conflits dans la sous-région.
Au départ, l’on assiste à une compétition classique entre usagers de la nature : agriculteurs et éleveurs. A l’arrivée, l’on peut faire face à un conflit inter-ethnique.
Non, les Peuls et les Dogons ne sont pas des ennemis. Pas plus que les Haoussa et les Touaregs ; les Toubous et les Djerma.
Bien au contraire, ces groupes avaient en fait, depuis des siècles, pacifié leurs relations grâce à la puissante « parenté à plaisanterie », introduite au début du 13è siècle par le régime de Soundiata Keita.
Des pactes sacrés et des actes concrets étaient institutionnalisés pour ne jamais verser le sang de son « cousin à plaisanterie ».
Malheureusement, les points de rupture écologiques ont été atteints depuis longtemps, et ces compétitions pour l’accès à la terre et à l’eau s’amplifient, prenant parfois des dimensions confessionnelles. Mal gérés, ils alimentent les rhétoriques de mouvements Jihadistes, dont certains reprochent aux Etats de prendre partie.
Là aussi, il est à craindre que nous déployons des réponses mal adaptées aux défis.
Le Sahel est d’abord et avant tout malade de l’effrondrement du vivant.
Les causes des conflits évoluent donc, nos réponses ne le sont pas.
La rareté des ressources naturelles n’est pas la seule cause de conflits dans nos régions. Hélas, autre signe de mauvaise gouvernance, l’abondance des ressources est aussi un germe dévastateur.
Les ressources minières, les hydrocarbures, les ressources fauniques, halieutiques et forestières attisent d’énormes convoitises.
Et cela n’a rien de récent. Déjà en 1885, la conférence de Berlin consacrait le dépècement de l’Afrique par huit puissances européennes.
Les indépendances politiques des Etats modernes n’ont pu se défaire d’un joug économique bien établi, basé essentiellement sur l’extraction.
Ces convoitises prennent de l’ampleur avec l’avénement de l’économie-monde, avec de nouveaux venus sur la scène, qui cherchent aussi une place au soleil.
Un rapport stratégique conjoint de l’UNEP et d’INTERPOL sur l’environnement, la paix et la sécurité en République Démocratique du Congo [2], note que des criminels exploitent illégalement les ressources naturelles, y compris l'or, le coltan et les diamants. Plus grave, ces exploitants illégaux financent divers groupes armés non-étatiques qui se battent entre eux, de telle sorte qu’aucun groupe ne domine l’autre.
Une façon de perpétuer le chaos et, par conséquent l’exploitation abusive des ressources. Le rapport estime qu'au moins 40 % des conflits internes sont liés aux ressources naturelles.
La criminalité environnementale ne peut être combattue de manière isolée. Pour lutter contre ces crimes organisés, de loin les plaies les plus profondes infligées à l’économie africaine, les réponses doivent être multi-formes, organisées et bien coordonnées. Pour être efficace, une telle lutte nécessite un effort global et coopératif. Cela exigera également une réponse plus large de la part de la communauté internationale, mais surtout des pays concernés.
L’abondance comme la rareté des ressources ne doivent pas être des fatalités. Ni l’une ni l’autre ne devrait constituer une menace sérieuse à la paix et à la sécurité. En fait, elles ne le sont que lorsque la gouvernance est défaillante.
Parlant des réponses à ces crises, empruntons une analogie médicale : ne vaut-il pas mieux chercher les causes profondes de la maladie, plutôt que de prodiguer un traitement symptomatique superficiel ?
Jusque-là, les réponses militaires ont été privilégiées– y compris au Sahel. Nul doute que les vaillantes forces armées sont nécessaires, mais elles ne peuvent demeurer la seule réponse, face aux urgences climatiques, aux pénuries d’eau, aux déficits alimentaires et à la pauvreté.
L’on ne tire pas une balle sur un feu de brousse si l’on veut l’éteindre. La Police n’arrêtera ni un vent de sable, ni un ouragan. Pour lutter contre l’élévation du niveau de la mer qui menace des millions de citoyens, la solution est à chercher du côté de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, ou tout au moins des techniques d’adaptation au changement climatique.
Le développement durable et la sécurité humaine sont comme des siamois. Inséparables, ils sont complémentaires. Le développement n’est point envisageable sans la sécurité. De même, il n’y a point de sécurité sans une gestion durable de nos ressources naturelles.
Permettez-moi, pour conclure, d’en dire un mot sur l’immigration clandestine, une de nos plaies ouvertes et cause d’une grave insécurité humaine.
Si ce phénomène est aussi ancien que l’humanité, les récentes vagues de départs non-organisés sont autant socialement douloureuses qu’elles ne sont économiquement pénibles.
Les pertes des moyens de production dues à la dégradation des terres agricoles et pastorales ou à la sur-exploitation des pêcheries ont jeté des millions de jeunes sur des routes périlleuses. Ces départs, vers des destinations de plus en plus lointaines, sont d’abord des fuites de cerveaux ou de bras valides. Certains, mais une minorité de plus en plus réduite, s’en sortent. La majorité n’y parviennent pas.
Là aussi, certains pays de destination ont adopté la politique du tout-sécuritaire, allant jusqu’à construire des murs, physiques ou virtuels. Nous pensons que l’une des meilleures solutions seraient d’investir sur les zones et pays d’émigration, sur la restauration des terres dégradées, afin de permettre une production décente et sécurisante pour les familles.
De Antananarivo à Tanger, de Djibouti à Dakar, de Luanda à Mombasa, l’Afrique regorge de ressources, de solutions et d’opportunités. Ne manquant ni de terre ni de soleil, ni de bras ni de génie, l’Afrique est comme ce fruit mûr qui demande à être cueilli. Dans un monde assailli par de féroces compétitions, l’Afrique doit s’inventer des solutions favorables à son développement et s’affranchir d’un joug politique et économique qui n’a que trop durer.
Je vous remercie.
[1] Pastoralisme et Sécurité en Afrique de l’Ouest et au Sahel Vers une coexistence pacifique Etude du Bureau des Nations Unies pour l’Afrique de l’Ouest et le Sahel (UNOWAS) Aout 2018 https://unowas.unmissions.org/sites/default/files/rapport_pastoralisme_fr-avril_2019_-_online.pdf
[2] INTERPOL-UN Environment (2016). Strategic Report: Environment, Peace and Security – A Convergence of Threats https://wedocs.unep.org/handle/20.500.11822/17008;jsessionid=2EAB6CD7FA6C6DB77CC024356BEC658C
Publications
The report “Land Degradation Neutrality for Biodiversity Conservation: How Healthy Land Safeguards Nature” highlights how LDN can address the priorities of both the CBD and the…